Histoire d'une mégère
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Histoire d'une mégère
J’ai connu une femme, Claudine de son prénom, qui consultait à perdre haleine sa voyante attitrée : tous les trois jours, elle se rendait au cabinet de son égérie reconvertie madame Irma. Celle-ci avait flairé la bonne aubaine et lui prêchait merveilles, histoire d'étoffer son bas de laine. Si elle se trompait, elle accusait la Claudine d’avoir contrarié les vues du destin, de sorte que les torts n’étaient jamais ceux de la pythie, mais de la cliente.
C’était la période où je venais de recueillir la succession de mes parents. Attention à la suite, c’est du vécu qui ne contribue pas trop à prendre en gré certains spécimens de notre tristounette humanité.
Son indifférence envers autrui n’avait d’égale que les profondes et insupportables sottises qu’elle jabotait du matin au soir. On dit bête comme un panier d'osier, jamais l’expression ne se justifiait autant qu’à travers cette oie à la jactance profuse qu’aggravait encore une tessiture vocale de harengère en pleine criée. Elle glapissait des rires stridents à ulcérer les Sept Sages, avec des trémolos suraigus tout proches de l’ultrason. Elle se prétendait bas-bleu alors qu'elle savait à peine calligraphier son nom. De là à projeter d’écrire ses Mémoires, il n'y avait jamais que la marge d'une douce folie à sa profonde nullité d'écrivassière, car la bonne dame n'avait jamais pratiqué la langue qu'à l'appui des listes de courses qu'elle griffonnait à la diable sur des morceaux de papiers épars.
Jérôme et moi étions pour elle des manants de la pire espèce, qui plus est soupçonnés du vice infâme au prix duquel certaine cité biblique ainsi que sa consœur ont été rayées des cartes IGD (Institut géographique divin) de l’époque, comme chacun sait.
Il advint qu’un beau jour de ce printemps 2013 nous faisions nos emplettes dans un supermarché de Mauléon. La Claudine y poussait elle aussi son caddie ; elle nous croise, nous adresse un sourire crispé, contrit, constipé – le lecteur a tout loisir de choisir le participe qui lui convient le mieux, c’est ce qu’on appelle du récit interactif – et la coïncidence veut que nous patientons à la même caisse, elle devant, nous derrière. La démangeaison d’avoir quelque médisance à dégoiser lui inspira la curiosité de passer au crible notre chariot, fort rempli et débordant d’une pléthore de victuailles à faire bombance pendant une semaine. En avisant son contenu, sa mine de fève s’allonge, elle grimace une espèce de rictus de harpie ménopausée et nous dit positivement avec une inexprimable moue de dégoût et en allongeant démesurément la dernière syllabe : vous achetez des choses chèèèèères !…. Si l’on veut se peindre au plus exact la mimique assortie au ton sur lequel avait été proférée cette diatribe, car c’en était une, imaginez une figure rondouillarde dépourvue d’angles, toute en boursouflures comme si elle prenait régulièrement de la cortisone, avec des yeux torves et inexpressifs, une bouche en cul de poule, des mains boudinées, la parfaite physionomie d’un hotu qui aurait été plus ou moins tenté de prendre forme humaine mais qui se serait arrêté au stade de l'esquisse. A ce portrait se superposaient les mimiques qu’improvise le dépit envieux confronté à l’énigme d’une opulence forcément trop soudaine pour n'être pas suspecte.
Le soir même, tout le village était au courant que nous avions acheté des choses chèèèèères. Du coup, les bonnes gens n’en démordirent plus de remonter à la source d’un si improbable changement de statut social. De fil en aiguille – car tout finit par se savoir – on apprit que le sieur S… avait hérité de feu ses papa et maman et qu’après des années d’interminables procédures judiciaires devers et delà les Pyrénées, justice lui avait été rendue. Or, ladite justice brassait large les écus et l’on pense bien que cette accession à la richesse suscitait commentaires, palabres, critiques indignées, et par entraînement cinétique de la jalousie, pas mal de convoitises. Seulement, nous nous gardions bien de commettre la faute de goût qui consiste à faire étalage de nos deniers tout frais, et l’anecdote du caddie bourré à ras pouvait encore n’être qu’une éclaircie de peu de durée dans un contexte persistant d'indigence. Mais la Claudine, qui n’était pas à une indiscrétion près, ne l’entendait pas de la même oreille et prétendait en avoir le cœur net : voilà qu’un soir, alors que Jo et moi travaillions un Haendel flûte et clavecin, elle frappe au carreau du salon, officiellement pour nous prier d’être de la prochaine fête du village, ce qui était parfaitement superflu car nous y participions toujours. C’est là que l’intérêt commence.
Le chapiteau avait été assemblé comme de coutume juste à côté de la mairie, par les soins des jeunes du village, dont nous. Nous y avions nos potes qui se fichaient pas mal des médisances de leur parentèle à notre égard. Aussi y passions-nous régulièrement de bonnes soirées à danser, à chanter et aussi à faire de la musique après avoir transporté mon piano électronique. Ce jour-là, cependant, les yeux convergeaient vers Jo et moi, et pour cause ! La gageure implicitement acceptée d’être l’instigateur de la question du jour s'était extravasée dans la salle façon marée sournoise, et pour jeter l’appât semblait solliciter celui qui hasarderait l’allusion la plus transitive à la confession publique que tout le monde espérait. Parmi ces auditeurs, la Claudine aux premières loges, on pourrait dire aux abois.
Il faut toucher un mot de la situation familiale de la mégère : sans rouler sur l’or, elle n’en vivait pas moins à son aise avec un époux adjudant-chef de l’armée, tandis qu’elle-même faisait des animations publicitaires de produits commerciaux dans les grandes surfaces. Salaire moyen du couple : quatre mille euros. Cela ne l’empêchait pas de crier famine près de son tas de blé. Ces éternelles jérémiades prétextaient le financement catastrophique de leur maison, avec un remboursement à taux variable, évidemment toujours à la hausse, puisque aussi bien cette escroquerie est parfaitement avalisée par tous les pouvoirs en place avec une persistance qui confine à la complicité. Comme monsieur devait se rendre quotidiennement à Pau, c'est-à-dire à quatre-vingts kilomètres de là, d’importants frais de déplacement s’ajoutaient aux traites mensuelles qui obéraient le budget familial. Le couple touchait bien des allocations pour les trois enfants qu’ils élevaient, mais cela ne suffisait pas. Ce que la Claudine se gardait bien de divulguer, c’est qu’elle et son mari menaient train de grands seigneurs et que madame, outre des sommes rondelettes versées régulièrement à sa cartomancienne, dépensait allègrement le pognon du ménage en superfluités dont la liste serait fastidieuse, mais qui coûtaient fort cher.
Aussi ce jour-là s’arrangea-t-elle pour nous manger à notre table, Jérôme et moi, de façon à entamer une conversation à effets ; du moins était-ce ainsi qu’elle escomptait mener sa barque. Seulement, si l’on se flatte d’un peu de psychologie, on évite d’aborder un sujet aussi délicat en se lançant dans sa propre plaidoirie entrecoupées de pleurnicheries, surtout dans le style mélodramatique. Aussi, dès les premiers alinéas de ses geignements, je me mis à sourire par en dessous sous l’œil rembruni de mon cousinou qui n'aime pas trop les pimpesouées, vieux mot pour mijaurées. La dame, piquée par cette attitude où l’ironie disputait la palme à une grande lassitude en croissance rapide, ne trouve rien de mieux pour se disculper que de monter sur ses échasses. La voilà qui brutalement convoque la terre entière, c'est-à-dire la salle, à la barre des témoins de son holocauste. Après une savante gradation dramatique composée d'allusions en demi-teinte ponctuées de haussements d'épaule, le sceau du ridicule culmina par cet épiphonème postillonné à bout portant :
– Nous aussi, on a le droit d’être riches !
Inutile de préciser qu’elle avait totalement abdiqué son sang-froid et que son prologue doucereux s’était échauffé par degrés pour atteindre en guise de point d'orgue l’aigre reproche envers un sort versatile qui distribuait l’opulence à deux marmousets, tandis qu’elle-même, pauvre créature incomprise et mal aimée, s’épuisait à tirer le diable par la queue !
Un comportement aussi infantile m’avait d’abord amusé, l’amusement fut rapidement relayé par une exaspération éruptive. J’étais surtout outré de ce qu’une bonne femme qui comme tant d’autres pékins de même acabit me toisait naguère du haut de sa superbe, retourne sa veste à l'enseigne d’une pareille capucinade, contre toutes les règles de la décence. Enfin, elle s’écriait tant et tant et rameutait avec si grande foison d’exclamations les cautionnaires de son calamiteux paupérisme qu’en fin de compte elle ne réussit qu’à ulcérer tout le monde.
Sur ces entrefaites mi-partie théâtrales et comiques – car dans l’assistance, certains se marraient ostensiblement – la cerise sur le gâteau : à sec d’arguments, y compris des ceux des larmes, voilà qu’elle crispe sa face de Thénardière et me catapulte à brûle-pourpoint : riche comme t'es, tu quand même nous donner dix mille euros !
C’est là que monsieur Mounika, son voisin de droite, rouge de colère, sort de ses gonds. Monsieur Mounika, quatre-vingts ans, était une des rares personnes qui m’avaient aidé pendant les sombres mois où je vivais de pâtes premier prix et que j’allais aux emplettes à vélo, faute d’argent pour payer le carburant de la voiture. A plusieurs reprises, me voyant dépérir dangereusement, il m’avait porté des fruits et des légumes. Je lui dois peut-être de ne pas être tombé malade, avec rechute possible de Hodgkin, voire pire.
Donc, monsieur Mounika tape du poing sur la table – et il avait des poings de boxeur poids lourd – et vous balance à la Claudine un feu roulant d’artillerie verbale qui la fait rentrer sous terre et ne lui laisse pour échappatoire qu’une prompte sortie, sous les huées de l’assistance. Monsieur Mounika de digérer l’incident en tonnant haut et fort à la cantonade : on ne l’a jamais vue à nos fêtes, elle est venue seulement pour demander du pognon au jeune Vivien !. Il ajoute, à l’adresse de ceux que ceux qui devaient se sentir visés : d’ailleurs, qui l’a aidé ? Personne ! Il aurait pu crever la gueule ouverte, y en a pas un qui lui aurait tendu la main !
Et voilà comment une aigrefin, mot auquel l’Académie a refusé à tort son homologue féminin, fut déboutée par la rhétorique directe, franche et révoltée d’un homme généreux grâce à qui, encore une fois, j’avais surnagé à mes désastres.
Ce n’était pas tout, pourtant.
La Claudine une fois démasquée, les autres convives n’en croquaient pas moins que d’une dent, car nous n’avions pas transpiré un mot de la grosseur de notre bas de laine, et les zones d'ombre là-dessus se multipliaient : si fortune il y avait, de quel part la tenions-nous et à combien se chiffrait-elle ? Autant d’écueils dressés sur l’océan des curiosités insatisfaites.
Eh bien, personne ne l'a jamais su : silence complet sur cette matière. Quelques semaines plus tard, nous disions adieu à Arrast avec au fond du cœur un sentiment amer de désolation. La veille de notre départ, quelqu'un glissa un mot dans la boîte aux lettres, rédigé en ces termes : vous êtes des monstres d'égoïsme ! Inutile de diligenter une enquête pour mettre un nom sur l'auteur de ce corbeau…
C’était la période où je venais de recueillir la succession de mes parents. Attention à la suite, c’est du vécu qui ne contribue pas trop à prendre en gré certains spécimens de notre tristounette humanité.
Son indifférence envers autrui n’avait d’égale que les profondes et insupportables sottises qu’elle jabotait du matin au soir. On dit bête comme un panier d'osier, jamais l’expression ne se justifiait autant qu’à travers cette oie à la jactance profuse qu’aggravait encore une tessiture vocale de harengère en pleine criée. Elle glapissait des rires stridents à ulcérer les Sept Sages, avec des trémolos suraigus tout proches de l’ultrason. Elle se prétendait bas-bleu alors qu'elle savait à peine calligraphier son nom. De là à projeter d’écrire ses Mémoires, il n'y avait jamais que la marge d'une douce folie à sa profonde nullité d'écrivassière, car la bonne dame n'avait jamais pratiqué la langue qu'à l'appui des listes de courses qu'elle griffonnait à la diable sur des morceaux de papiers épars.
Jérôme et moi étions pour elle des manants de la pire espèce, qui plus est soupçonnés du vice infâme au prix duquel certaine cité biblique ainsi que sa consœur ont été rayées des cartes IGD (Institut géographique divin) de l’époque, comme chacun sait.
Il advint qu’un beau jour de ce printemps 2013 nous faisions nos emplettes dans un supermarché de Mauléon. La Claudine y poussait elle aussi son caddie ; elle nous croise, nous adresse un sourire crispé, contrit, constipé – le lecteur a tout loisir de choisir le participe qui lui convient le mieux, c’est ce qu’on appelle du récit interactif – et la coïncidence veut que nous patientons à la même caisse, elle devant, nous derrière. La démangeaison d’avoir quelque médisance à dégoiser lui inspira la curiosité de passer au crible notre chariot, fort rempli et débordant d’une pléthore de victuailles à faire bombance pendant une semaine. En avisant son contenu, sa mine de fève s’allonge, elle grimace une espèce de rictus de harpie ménopausée et nous dit positivement avec une inexprimable moue de dégoût et en allongeant démesurément la dernière syllabe : vous achetez des choses chèèèèères !…. Si l’on veut se peindre au plus exact la mimique assortie au ton sur lequel avait été proférée cette diatribe, car c’en était une, imaginez une figure rondouillarde dépourvue d’angles, toute en boursouflures comme si elle prenait régulièrement de la cortisone, avec des yeux torves et inexpressifs, une bouche en cul de poule, des mains boudinées, la parfaite physionomie d’un hotu qui aurait été plus ou moins tenté de prendre forme humaine mais qui se serait arrêté au stade de l'esquisse. A ce portrait se superposaient les mimiques qu’improvise le dépit envieux confronté à l’énigme d’une opulence forcément trop soudaine pour n'être pas suspecte.
Le soir même, tout le village était au courant que nous avions acheté des choses chèèèèères. Du coup, les bonnes gens n’en démordirent plus de remonter à la source d’un si improbable changement de statut social. De fil en aiguille – car tout finit par se savoir – on apprit que le sieur S… avait hérité de feu ses papa et maman et qu’après des années d’interminables procédures judiciaires devers et delà les Pyrénées, justice lui avait été rendue. Or, ladite justice brassait large les écus et l’on pense bien que cette accession à la richesse suscitait commentaires, palabres, critiques indignées, et par entraînement cinétique de la jalousie, pas mal de convoitises. Seulement, nous nous gardions bien de commettre la faute de goût qui consiste à faire étalage de nos deniers tout frais, et l’anecdote du caddie bourré à ras pouvait encore n’être qu’une éclaircie de peu de durée dans un contexte persistant d'indigence. Mais la Claudine, qui n’était pas à une indiscrétion près, ne l’entendait pas de la même oreille et prétendait en avoir le cœur net : voilà qu’un soir, alors que Jo et moi travaillions un Haendel flûte et clavecin, elle frappe au carreau du salon, officiellement pour nous prier d’être de la prochaine fête du village, ce qui était parfaitement superflu car nous y participions toujours. C’est là que l’intérêt commence.
Le chapiteau avait été assemblé comme de coutume juste à côté de la mairie, par les soins des jeunes du village, dont nous. Nous y avions nos potes qui se fichaient pas mal des médisances de leur parentèle à notre égard. Aussi y passions-nous régulièrement de bonnes soirées à danser, à chanter et aussi à faire de la musique après avoir transporté mon piano électronique. Ce jour-là, cependant, les yeux convergeaient vers Jo et moi, et pour cause ! La gageure implicitement acceptée d’être l’instigateur de la question du jour s'était extravasée dans la salle façon marée sournoise, et pour jeter l’appât semblait solliciter celui qui hasarderait l’allusion la plus transitive à la confession publique que tout le monde espérait. Parmi ces auditeurs, la Claudine aux premières loges, on pourrait dire aux abois.
Il faut toucher un mot de la situation familiale de la mégère : sans rouler sur l’or, elle n’en vivait pas moins à son aise avec un époux adjudant-chef de l’armée, tandis qu’elle-même faisait des animations publicitaires de produits commerciaux dans les grandes surfaces. Salaire moyen du couple : quatre mille euros. Cela ne l’empêchait pas de crier famine près de son tas de blé. Ces éternelles jérémiades prétextaient le financement catastrophique de leur maison, avec un remboursement à taux variable, évidemment toujours à la hausse, puisque aussi bien cette escroquerie est parfaitement avalisée par tous les pouvoirs en place avec une persistance qui confine à la complicité. Comme monsieur devait se rendre quotidiennement à Pau, c'est-à-dire à quatre-vingts kilomètres de là, d’importants frais de déplacement s’ajoutaient aux traites mensuelles qui obéraient le budget familial. Le couple touchait bien des allocations pour les trois enfants qu’ils élevaient, mais cela ne suffisait pas. Ce que la Claudine se gardait bien de divulguer, c’est qu’elle et son mari menaient train de grands seigneurs et que madame, outre des sommes rondelettes versées régulièrement à sa cartomancienne, dépensait allègrement le pognon du ménage en superfluités dont la liste serait fastidieuse, mais qui coûtaient fort cher.
Aussi ce jour-là s’arrangea-t-elle pour nous manger à notre table, Jérôme et moi, de façon à entamer une conversation à effets ; du moins était-ce ainsi qu’elle escomptait mener sa barque. Seulement, si l’on se flatte d’un peu de psychologie, on évite d’aborder un sujet aussi délicat en se lançant dans sa propre plaidoirie entrecoupées de pleurnicheries, surtout dans le style mélodramatique. Aussi, dès les premiers alinéas de ses geignements, je me mis à sourire par en dessous sous l’œil rembruni de mon cousinou qui n'aime pas trop les pimpesouées, vieux mot pour mijaurées. La dame, piquée par cette attitude où l’ironie disputait la palme à une grande lassitude en croissance rapide, ne trouve rien de mieux pour se disculper que de monter sur ses échasses. La voilà qui brutalement convoque la terre entière, c'est-à-dire la salle, à la barre des témoins de son holocauste. Après une savante gradation dramatique composée d'allusions en demi-teinte ponctuées de haussements d'épaule, le sceau du ridicule culmina par cet épiphonème postillonné à bout portant :
– Nous aussi, on a le droit d’être riches !
Inutile de préciser qu’elle avait totalement abdiqué son sang-froid et que son prologue doucereux s’était échauffé par degrés pour atteindre en guise de point d'orgue l’aigre reproche envers un sort versatile qui distribuait l’opulence à deux marmousets, tandis qu’elle-même, pauvre créature incomprise et mal aimée, s’épuisait à tirer le diable par la queue !
Un comportement aussi infantile m’avait d’abord amusé, l’amusement fut rapidement relayé par une exaspération éruptive. J’étais surtout outré de ce qu’une bonne femme qui comme tant d’autres pékins de même acabit me toisait naguère du haut de sa superbe, retourne sa veste à l'enseigne d’une pareille capucinade, contre toutes les règles de la décence. Enfin, elle s’écriait tant et tant et rameutait avec si grande foison d’exclamations les cautionnaires de son calamiteux paupérisme qu’en fin de compte elle ne réussit qu’à ulcérer tout le monde.
Sur ces entrefaites mi-partie théâtrales et comiques – car dans l’assistance, certains se marraient ostensiblement – la cerise sur le gâteau : à sec d’arguments, y compris des ceux des larmes, voilà qu’elle crispe sa face de Thénardière et me catapulte à brûle-pourpoint : riche comme t'es, tu quand même nous donner dix mille euros !
C’est là que monsieur Mounika, son voisin de droite, rouge de colère, sort de ses gonds. Monsieur Mounika, quatre-vingts ans, était une des rares personnes qui m’avaient aidé pendant les sombres mois où je vivais de pâtes premier prix et que j’allais aux emplettes à vélo, faute d’argent pour payer le carburant de la voiture. A plusieurs reprises, me voyant dépérir dangereusement, il m’avait porté des fruits et des légumes. Je lui dois peut-être de ne pas être tombé malade, avec rechute possible de Hodgkin, voire pire.
Donc, monsieur Mounika tape du poing sur la table – et il avait des poings de boxeur poids lourd – et vous balance à la Claudine un feu roulant d’artillerie verbale qui la fait rentrer sous terre et ne lui laisse pour échappatoire qu’une prompte sortie, sous les huées de l’assistance. Monsieur Mounika de digérer l’incident en tonnant haut et fort à la cantonade : on ne l’a jamais vue à nos fêtes, elle est venue seulement pour demander du pognon au jeune Vivien !. Il ajoute, à l’adresse de ceux que ceux qui devaient se sentir visés : d’ailleurs, qui l’a aidé ? Personne ! Il aurait pu crever la gueule ouverte, y en a pas un qui lui aurait tendu la main !
Et voilà comment une aigrefin, mot auquel l’Académie a refusé à tort son homologue féminin, fut déboutée par la rhétorique directe, franche et révoltée d’un homme généreux grâce à qui, encore une fois, j’avais surnagé à mes désastres.
Ce n’était pas tout, pourtant.
La Claudine une fois démasquée, les autres convives n’en croquaient pas moins que d’une dent, car nous n’avions pas transpiré un mot de la grosseur de notre bas de laine, et les zones d'ombre là-dessus se multipliaient : si fortune il y avait, de quel part la tenions-nous et à combien se chiffrait-elle ? Autant d’écueils dressés sur l’océan des curiosités insatisfaites.
Eh bien, personne ne l'a jamais su : silence complet sur cette matière. Quelques semaines plus tard, nous disions adieu à Arrast avec au fond du cœur un sentiment amer de désolation. La veille de notre départ, quelqu'un glissa un mot dans la boîte aux lettres, rédigé en ces termes : vous êtes des monstres d'égoïsme ! Inutile de diligenter une enquête pour mettre un nom sur l'auteur de ce corbeau…
Pimbi- Habitué du forum ++
- Messages : 21920
Date d'inscription : 27/09/2012
Localisation : En transit forcé
Re: Histoire d'une mégère
Quelle charmante voisine !
En Normandie, l'habitude de ces braves gens est d'attendre que tu aies le dos tourné pour médire et supputer.
En Normandie, l'habitude de ces braves gens est d'attendre que tu aies le dos tourné pour médire et supputer.
gingembre- Habitué du forum ++
- Messages : 23109
Date d'inscription : 13/03/2013
Localisation : calvados
Re: Histoire d'une mégère
Beaucoup de gens ne seront jamais vraiment heureux pour une raison très banale: mon voisin à ce que je n'ai pas, c'est injuste. De fait ils trouveront toujours quelque chose que le voisin a qu'eux n'ont pas. La jalousie entraine naturellement la médisance, et on se rend soi même malheureux...
alain- Habitué du forum +
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Date d'inscription : 13/10/2014
Re: Histoire d'une mégère
L'envie et la jalousie sont réellement des poisons qui pourrissent l'existence de ceux qui les ressentent autant que de ceux qui en sont victimes.
Floréane- Habitué du forum ++
- Messages : 51504
Date d'inscription : 27/11/2012
Localisation : plein sud
Re: Histoire d'une mégère
Comme tu dis.
alain- Habitué du forum +
- Messages : 3394
Date d'inscription : 13/10/2014
Re: Histoire d'une mégère
Franchement, comment peut-on en arriver à cette sorte d'exigence : "riche comme t'es, tu pourrais quand même nous donner dix mille euros !" Et même pas prêter, donner !! Comme on dit ici, il faut vraiment n'avoir pas de figure !
Floréane- Habitué du forum ++
- Messages : 51504
Date d'inscription : 27/11/2012
Localisation : plein sud
Re: Histoire d'une mégère
Surtout que la pauvreté n'est pas son problème, puisque la mégère tourne a 4000 euros ( pour deux ).
Quoique ...oui. La pauvreté d'esprit c'est son problème.
Quoique ...oui. La pauvreté d'esprit c'est son problème.
alain- Habitué du forum +
- Messages : 3394
Date d'inscription : 13/10/2014
Re: Histoire d'une mégère
Mais c'est ça l'envie : l'autre a plus, donc il faut le faire raquer... C'est à vomir. Ce sont vraiment des comportements que je ne supporte pas.
Floréane- Habitué du forum ++
- Messages : 51504
Date d'inscription : 27/11/2012
Localisation : plein sud
Re: Histoire d'une mégère
Moi non plus, surtout depuis que je commence à me faire que!ques sous supplémentaires avec la peinture.
alain- Habitué du forum +
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Date d'inscription : 13/10/2014
Re: Histoire d'une mégère
Je suis contente pour toi ! Vraiment.
Floréane- Habitué du forum ++
- Messages : 51504
Date d'inscription : 27/11/2012
Localisation : plein sud
Re: Histoire d'une mégère
Oui c'est super !
gingembre- Habitué du forum ++
- Messages : 23109
Date d'inscription : 13/03/2013
Localisation : calvados
Re: Histoire d'une mégère
Merci les amies !
alain- Habitué du forum +
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Date d'inscription : 13/10/2014
Re: Histoire d'une mégère
C'est toujours réjouissant qu'il arrive de bonnes choses à un ami !
Floréane- Habitué du forum ++
- Messages : 51504
Date d'inscription : 27/11/2012
Localisation : plein sud
Re: Histoire d'une mégère
Bon maintenant je vais manger parce que j'ai faim.
alain- Habitué du forum +
- Messages : 3394
Date d'inscription : 13/10/2014
Re: Histoire d'une mégère
Idem Alain, je suis très content pour toi et d'ailleurs, vu la qualité de ton travail, ce n'est que justice. Pourvu que les ventes continuent, et s'amplifient, si si !!!
Tonax- Habitué du forum ++
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Date d'inscription : 29/05/2013
Re: Histoire d'une mégère
Merci Tonax !
alain- Habitué du forum +
- Messages : 3394
Date d'inscription : 13/10/2014
Minerve- Habitué du forum +
- Messages : 12165
Date d'inscription : 13/02/2013
Localisation : Normandie
Re: Histoire d'une mégère
Et je n'ai pas tout raconté, surtout sa "première fois", quand je la connaissais à peine, je ne savais pas exactement à qui j'avais affaire. Elle allait chez sa voyante, comme je l'ai dit, et elle se trouvait sans véhicule, son mari étant au boulot à Pau. Après quelque hésitation, elle finit par venir me voir pour me demander de la conduire. J'ai eu beaucoup de mal à accepter, et encore, du bout des lèvres, parce que mon intuition me parle haut et fort et que dans le cas qui nous occupe, cette intuition me disait clairement que la bonne femme était une sombre écornifleuse, et rien d'autre. Néanmoins, je consens à la mener, et c'est là que les choses tournent au vinaigre. Nous étions à deux pas de chez son extralucide, lorsqu'elle me déclare, faussement effarée : "ah mince, j'ai oublié mon porte-monnaie !", et qui plus est en se permettant la familiarité de me serrer le bras, ce qui est totalement inconvenant. Vous avez pigé qu'elle s'imaginait que j'allais lui proposer de régler les vaticinations de sa pseudo-voyante, mais le Pimbi a le sang chaud et surtout il est doué d'un caractère sur le grill qui lui a valu du reste pas mal de déboires. Dans ces cas-là, et au risque de vous paraître un peu supérieur (pardon, mais je me peins tel que je suis), c'est toute la lignée qui refait surface et qui m'inspire un air de distinction dont j'use rarement, mais qui fait son effet ; je lui ai demandé si elle prétendait me prendre pour une pipe et je l'ai plantée là sans autre forme de procès. La séance de tirage de cartes, c'était cinquante euros, s'il vous plaît, à une époque où je vivais plus de deux semaines avec une somme pareille. De là une réputation d'avaricieux que la Claudine n'a pas manqué de colporter à droite et à gauche ensuite.
Pimbi- Habitué du forum ++
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Date d'inscription : 27/09/2012
Localisation : En transit forcé
Re: Histoire d'une mégère
Elle a misé sur ta jeunesse :elle s'est dit que le petit poulet de grain, elle allait pouvoir le rouler dans la farine sans qu'il y voie rien !
Floréane- Habitué du forum ++
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Localisation : plein sud
Re: Histoire d'une mégère
Lamentable
Medea- Habitué du forum +
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Localisation : Koutaïs
Re: Histoire d'une mégère
Ca se tient, comme raisonnementalain a écrit:
Bon maintenant je vais manger parce que j'ai faim.
Medea- Habitué du forum +
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Date d'inscription : 01/10/2012
Localisation : Koutaïs
Re: Histoire d'une mégère
Ça y est, je viens de manger : je ne mange plus avant deux heures, c'est promis juré !
Flo, le petit poulet de grain ne manque pas de discernement, ce qui a brisé net les ambitions de la mégère qui voulait le rouler dans la farine non bio.
J'ai appris que pour faire face à leur paupérisme, les [pas de nom] ont dû déménager à Pau après avoir été incapables de rembourser leur maison saisie par l'organisme de crédit. Vous avez dit je vis au-dessus de mes moyens ? Meuh non...
Flo, le petit poulet de grain ne manque pas de discernement, ce qui a brisé net les ambitions de la mégère qui voulait le rouler dans la farine non bio.
J'ai appris que pour faire face à leur paupérisme, les [pas de nom] ont dû déménager à Pau après avoir été incapables de rembourser leur maison saisie par l'organisme de crédit. Vous avez dit je vis au-dessus de mes moyens ? Meuh non...
Pimbi- Habitué du forum ++
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Re: Histoire d'une mégère
Qui pète plus haut qu'il n'a le cul finit pas s'asphyxier...
Floréane- Habitué du forum ++
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